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La bijouterie dite « de fantaisie » ou « d’imitation » s’est imposée dès le XIII° siècle :
« Le faux, à la différence du vrai, n’est rien d’autre que ce qu’il montre dans l’instant ».
Plusieurs communautés s’occupaient alors de fabriquer de faux bijoux concurrençant ceux des orfèvres.
Ceux-ci, étymologiquement « travailleurs d’or », s’occupaient aussi bien de la grande orfèvrerie mobilière que de la petite orfèvrerie appelée ensuite joaillerie, mettant en forme des bijoux ou des pierres.
Les orfèvres furent toujours considérés comme l’élite des corps de métiers parisiens.
Saint Eloi, orfèvre lui-même et ministre de Dagobert Ier, fut leur patron. Il fonda en 631 la première école d’orfèvrerie en chargeant les moines du monastère de Solignac qu’il venait de créer de se consacrer à cette technique.
Un monastère de femmes sous la houlette de sainte Aure fut fondé quelques années plus tard à l’emplacement de l’actuelle église Saint Paul dans le Marais, qui demeure le coeur de la bijouterie parisienne.
Les statuts des orfèvres, consignés par Etienne Boileau dans le « Livre des métiers », les soumettaient à des règles très strictes sur la qualité de l’or qu’ils mettaient en oeuvre.
A partir de 1275, sur ordre de Philippe le Hardi, il est institué que chaque communauté d’orfèvres devra apposer son poinçon sur ses ouvrages.
Le poinçon de garantie sous la responsabilité des orfèvres passera ensuite sous celle de l’ État.
Mais pour revenir aux faiseurs de faux, voyons au sein de quels métiers ils exerçaient leurs talents: les « patenôtriers » tenaient leur nom de Paternoster car ils faisaient à l’origine des chapelets.
A ces objets de piété ils adjoignirent des objets précieux: joyaux de toilette ou cadeaux d’amitié. Ils se regroupaient en diverses communautés selon les matières qu’ils travaillaient.
Ainsi trouvaient-on les patenôtriers d’os ou de corne, les patenôtriers de corail et de coquilles, ceux d’ambre ou de jais, les fabricants de boucles et boutons en cuivre, archal et laiton.
Ceux-ci prirent ensuite le titre de « patenôtriers boutonniers d’émail ». Ils s’autorisèrent donc l’utilisation de l’émail, auparavant réservé aux orfèvres. Leurs statuts furent établis en 1566.
En 1718, ils fusionnèrent avec les patenôtriers de corail. Mais à cette époque une contestation s’était élevée entre les émailleurs et les patenôtriers de corail. En effet, selon René de Lespinasse, ceux-ci prospéraient grâce au commerce des perles fausses; sur quinze maîtres patenôtriers, deux seulement travaillaient l’ambre et le corail. La fausse perle connaissait déjà un succès considérable. Les émailleurs, dont c’était en principe la spécialité, ne pouvaient aller contre cette usurpation, car le dénommé Janin, qui en était l’inventeur, appartenait à la communauté des patenôtriers.
Alfred Franklin cite, lui, un Sieur Jacquin qui en 1684 eut l’idée d’entamer le verre avec une sorte de pâte composée d’écailles d’ablette et obtint une fausse perle d’une parfaite tromperie. Janin ou Jacquin peu importe, toujours est-il que ces géniaux inventeurs défrayaient les chroniques et conservaient jalousement leurs secrets tout comme continue à le faire la maison Gripoix, inventrice des perles Chanel…
Notons que l’usage des fausses perles fut même bien antérieur au XVII° siècle, puisque le Livre des métiers le mentionne déjà dans l’article sur les merciers, soulignant qu’il leur est interdit d’utiliser les perles fausses blanches et dorées.
Les merciers eurent aussi des démêlés avec les orfèvres qui saisirent des ceintures d’or et d’argent dans leurs ateliers pour « faute d’aloi »
Les pierres fausses n’étaient pas en reste. Les pierriers de verre, nommés aussi voirriers ou voirriniers, travaillaient le verre de manière à imiter les pierres précieuses. Leurs imitations étaient fort belles et les reines ne dédaignaient de les arborer.
Au XVII° siècle l’industrie des pierres fausses se concentra dans la cour du Temple ( toujours vouée, de nos jours, aux strass et autres bimbeloteries).
« Il y a un homme au Temple, écrit Tallemant des Réaux, qui a trouvé le secret de teindre les cristaux» on les appelait alors les diamants du Temple. Trente vendeurs de faux diamants y sont recensés en 1673.
Puis un Sieur Georges-Frédéric Strass, de Strasbourg, perfectionna magnifiquement les imitations, en colorant un cristal de plomb avec des oxydes métalliques, qui prirent le nom de leur inventeur et finirent par être autant prisées et recherchées que le pur diamant.
Ironie du sort, un de ses descendants s’installe en 1757 sur le quai des Orfèvres !
Les imitations d’or s’obtenaient avec des alliages de cuivre, de zinc, de plomb et d’étain. C’étaient le similor, le chrysocale, le tombac, le pinchbeck.
Tous les artisans de l’imitation finirent néanmoins par se regrouper :
En 1723, les verriers, émailleurs et fabricants de corail ne forment plus qu’une seule communauté. Au XVIII ième siècle, la Bohème avait acquis une suprématie incontestable sur Venise, son ancienne rivale dans la production de perles de verre. Au XIX ième siècle, la région fournissait en pierres taillées, perles d’imitation et montures, les ateliers de bijouterie fantaisie de Budapest, Paris ou Londres.
Le pionnier de la production de cristal industriel taillé sur machine, Daniel Swarovski, s’exila dans le Tyrol autrichien et y créa son usine en 1895.
Il acquit un véritable monopole sur le marché du cristal avant d’adjoindre à ses activités la bijouterie. Aujourd’hui encore, les strass Swarovski sont considérés de qualité supérieure et largement utilisés dans les ateliers.
Néanmoins, il fallut vaincre une certaine résistance pour que la bijouterie fantaisie soit réellement reconnue et appréciée.
Longtemps considérée comme une vulgaire tentative d’imitation, elle devint une expression à part entière, grâce à la volonté des couturiers de l’imposer comme des compléments de leurs toilettes, à l’égal des bijoux précieux.
L’ Art Nouveau donna le goût de la fantaisie et imposa l’émail, les pierres semi-précieuses et d’imitation. La transition vers des lignes plus sobres et pures s’opéra sous l’influence d’artistes comme Georg Jensen ou du retentissement des Ballets russes. Sculpteur et bijoutier, le Danois Georg Jensen ouvrit sa boutique à Berlin en 1909. Son travail novateur de l’argent influença tout autant la joaillerie que la bijouterie fantaisie.
Paul Poiret fut le premier couturier à adjoindre la bijouterie fantaisie à ses collections.
Il fit travailler les bijoutiers René Boivin et Suzanne Gripoix.
Pour lui la maison Gripoix réalisa des bijoux en pâte de verre et un fantastique aquarium rempli de faux poissons de verre mêlés à des vrais.
L’histoire de la maison Gripoix débute en peu avant avec Augustine Gasse.
Augustine était couturière et fabriquait des perles, rue de Turbigo, dans les locaux actuels de la maison.
Elle racheta l’affaire à ses patrons, fournit des perles au prestigieux Worth et travailla aussi pour l’opéra et le théâtre, notamment pour les parures de Sarah Bernhardt.
Sa fille, Suzanne, aidée de son mari, se lança dans la bijouterie fantaisie, travaillant pour les couturiers Poiret, Molyneux, Lanvin puis Chanel.
Pour autant, elle ne délaissa point le spectacle, œuvrant pour Sacha Guitry et créant entre autres merveilles la couronne de Peau d’Âne ou le collier de la reine dans si Versailles m’était conté.
L’association Gripoix-Chanel se révéla d’une grande richesse.
La couturière, bien plus que les autres couturiers qui l’avaient précédée, attacha une importance particulière à ses bijoux faux et surprendre le contre-pied de la valeur qui leur était jusqu’alors attribuée.
C’est elle qui consacra définitivement le bijou fantaisie. Coco Chanel alla tout d’abord voir Suzanne Gripoix avec les splendides bijoux que lui avait offerts le duc Dimitri de Russie.
A partir de 1924, les interprétations de ces joyaux de la vieille Russie, et tout spécialement de la croix de Malte, révélèrent le savoir-faire particulier de la maison Gripoix et sa grande maîtrise du verre.
Suzanne Gripoix mit au point une spécialité d’émaillage très sophistiquée.
Toujours pour Coco Chanel, elle inventa un procédé de nacrage des perles, à l’origine de la fameuse perle Chanel utilisée comme une signature, en sautoir, clips, boucles d’oreilles. Cette technique est non seulement toujours employée par l’atelier, au même titre que celle de l’émaillage, mais surtout, encore tenue ultra-secrète.
Le secret s’est transmis de mère en fille puis au représentant actuel de la maison, le petit-fils de Suzanne, qui reste muet sur ce savoir-faire long et minutieux ( à cause des temps de séchage, l’opération s’écoule sur plusieurs jours).
Suzanne Gripoix fournissait également des bijoux sur mesure à une clientèle particulière.
De riches Américaines raffolaient de ses créations et les exportations allaient bon train.
Suzanne Gripoix recommença à travailler avec Chanel après la guerre, à partir de 1954.
Entre-temps, elle avait conquis un autre couturier, Dior, qui lui resta également fidèle.
Sa fille, Josette, la seconda puis collabora avec tous les grands couturiers de Paris: Saint-Laurent, Scherrer, Valentino, Lanvin…
Depuis 1982, le fils de Josette, Thierry Caluwaerts, perpétue l’héritage.
Il travaille beaucoup pour les maisons Chanel et Karl Lagerfeld, aussi bien pour la haute couture que pour le prêt-à-porter, mais également pour tous les grands couturiers qui, dit-il, « le mettent au défi de réaliser ce que d’autres ne parviennent pas à faire ».
L’atelier Gripoix est divisé en plusieurs pièces consacrées à chacune des activités :
1. La bijouterie occupe huit ouvriers. Ici, le cuivre est étiré et sculpté à la pince.
Toutes les formes des bracelets, colliers, boucles d’oreilles, broches… sont faites à la main, à l’aide de plusieurs pinces, de marteaux, de maillets et porte-scies.
La soudure est appliquée et fixée au chalumeau.
Entre chaque étape de soudure, la pièce est trempée dans de l’eau pour enlever la calamine, une petite pellicule noire qui surgit sur le cuivre à la chaleur.
2. Une fois le bijou assemblé, il passe à l’émaillage.
Les huit ouvrières coulent du verre dans la bijouterie.
Les baguettes de verre sont étirées pour les rendre extrêmement fines.
Très souvent l’atelier fabrique aussi ses propres coloris.
D’une main à l’autre, avec pourtant la même dose de colorant, le ton peut varier.
Munie de sa fine baguette, l’émailleuse va au-dessus de la flamme faire fondre le verre, dans la cavité de la bijouterie.
il lui faut du doigté et de la précision pour doser avec justesse l’apport du verre requis pour l’équilibre du bijou. Le verre fond aussi vite qu’il se solidifie et l’opération fascine le curieux non averti.
(Découvrez nos autres vidéos à cette adresse : http://www.youtube.com/RaffinementFr)
3. Une fois les pièces terminées et séchées, elles s’en vont dans un autre atelier pour la dorure ou le traitement de surface.
La finition dorée, argentée ou cuivrée se fait par électrolyse dans des bains chimiques.
4. Sorties de leurs bains, les pièces sèchent dans la sciure.
5. Très souvent, sur le traitement de surface, une patine est apposée au chiffon, à la brosse ou au pinceau.
Un nouveau temps de séchage est nécessaire puis la pièce subit un dernier nettoyage.
6. L’ultime étape est le montage: montage des strass, des systèmes de fermeture et enfilage des perles.
Les émailleuses façonnent également les perles.
A la différence des perles standardisées, travaillées partout ailleurs, la maison ne fabrique que des perles uniques de mille formes différentes ( poires, olives rondes, rondes baroques, boutons, galets…).
Elles sont toutes de grande beauté, parfois martelées, « baroquées » à l’ancienne et, bien sûr, nacrées dans le plus grand secret.
Les Gripoix ont le culte de l’objet unique, rien ne les passionne plus que la recherche.
Certes, ils s’appuient sur leur savoir-faire unique et la magie de leur matière première, le verre, mais ils sont taraudés par le désir d’aller vers toujours plus d’élégance et de perfection.
Thierry Caluwaerts a dû faire ses preuves pour acquérir les trésors secrets de sa mère et de sa grand-mère, ces deux élégantes à la personnalité affirmée.
Suzanne Gripoix était centenaire lorsqu’elle disparut; sa fille ne lui survécut que d’un mois.
La maison, en deuil, se souvient avec émotion de la dernière fête de Sainte-Catherine à laquelle Suzanne se joignit, ravissant tout le monde par l’agilité de son esprit.
Son petit-fils garde toujours en mémoire les coups de téléphone qu’elle lui passait le matin, après une nuit pleine de rêves de nouvelles collections de bijoux….
Suzanne et Josette lui ont transmis leur passion.
Nous leur rendons hommage.
(La copie totale ou partielle de cet article et de ses éléments graphiques est strictement interdite.)
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